Počitelj : un village au métissage culturel étonnant
Partons ensemble explorer les contrées des Balkans Occidentaux

A la découverte de Počitelj…
La Neretva prend sa source à Lebršnik et finit son épopée dans la mer Adriatique. Au cours de sa course folle, elle traverse et longe de nombreuses villes et villages. A mi-chemin entre sa source dans les Alpes Dinariques et son embouchure dans l’Adriatique, elle passe aux abords d’un paisible village nommé Počitelj. Cette ancienne ville fortifiée se dresse sur les hauteurs du fleuve et le surplombe de son imposante stature. Ce ne sont pas moins sa taille, son architecture que son histoire qui font de Počitelj un endroit exceptionnel. Situé entre Mostar et Čapljina, Počitelj s’étend sur une surface limitée et se hisse jusque sur les sommets des reliefs environnants où trône majestueusement sa forteresse. Les cheminées de forme circulaire et les maisons traditionnelles faites en pierre rappellent celles que l’on aperçoit sur les côtes dalmates. Elles constituent l’héritage de l’Empire romain et celui des incursions magyares qui ont autrefois dominé le territoire. Toutefois, ce village est également imprégné de la culture ottomane qui y a longtemps prédominé comme en témoignent les mosquées (Šišman Ibrahim Paša et Hadži-Alijina), la medersa ou les bains ottomans construits tout au long de l’histoire du village. Les récits du célèbre aventurier ottoman Evliya Celebi permettent de retracer la chronologie de la construction des édifices.
Aux origines du village
Les informations au sujet des origines du village sont maigres rendant ainsi difficile la reconstruction fidèle de son histoire. Počitelj fut mentionné́ pour la première fois en 1444 sous le nom de Poshichell mais, c’est certainement durant le règne de Tvrtko 1er (1353–1391) que le village fut fortifié. A l’origine donc, Počitelj n’est rien d’autre qu’un village ordinaire de Zachloumie (Herzégovine). Cependant, l’actuel territoire de Bosnie-Herzégovine, après avoir été sous le joug de l’Empire Romain, puis sous domination hongroise, a subi l’invasion de l’Empire Ottoman.

L’école coranique et les bains turcs auraient été construits avant 1664 puisqu’ils sont mentionnés dans ces compte-rendus ; la tour de l’horloge de Počitelj elle, fut probablement édifiée ultérieurement puisqu’elle n’y apparait pas. Enfin, la mosquée Šišman Ibrahim Paša date de 1562 et, à ses côtés, au pied de la forteresse médiévale, se situe la splendide maison de la famille Gavrankapetanović (famille renommée du village). Il existe donc une réelle imbrication entre les cultures orientale et méditerranéenne qui confère au village un charme certain. Ainsi, en se promenant dans les dédales du village au gré des ruelles pavées, où l’architecture ottomane se conjugue à celle méditerranéenne, un mélange surprenant s’offre à nous. L’ensemble nous renvoie inexorablement au temps où, jadis, la culture ottomane a pris le pas sur la chrétienté et a animé, imprégné, façonné ce joyau du patrimoine national bosniaque.

Ainsi, c’est en raison du dessein ottoman de s’emparer de la Zachloumie que le roi du Banat de Bosnie, avec le financement de la République de Raguse (Dubrovnik), fit construire la majestueuse forteresse qui domine Počitelj en vue de protéger le village. Cette tentative infructueuse mena en 1471 à la prise de la citadelle suite aux heurts entre les soldats hongrois qui protégeaient le village contre l’oppression ottomane. Dès 1346, le destin du village est modifié en raison des nombreux évènements qui s’y déroulent et ce depuis l’invasion du territoire bosniaque par l’Empire Ottoman.

Ainsi, suite à l’échec de la République de Raguse de protéger le territoire, l’Herzégovine est, dès 1487, sous juridiction ottomane et cela conduit à l’islamisation des lieux. Les divers édifices musulmans ont été construits au fil des siècles et au gré des évènements qui ont bouleversé le village. L’architecture ottomane s’est remarquablement fondue dans le décor méditerranéen préexistant, menant à un somptueux entrelacement de cultures.
La résonance européenne d’un vestige national
Počitelj est un lieu de mémoire européen en ce sens qu’il fait la synthèse de différentes cultures qui s’y sont succédées et y ont cohabitées. Ce village, symbole de l’influence de plusieurs civilisations, ressemble donc au continent européen sur bien des points et permet l’identification de tous les européens, qu’importe leur nationalité ou leur confession.
Les diverses civilisations que l’on retrouve en Europe sont le produit de l’histoire et donnent au continent sa singularité et sa force. C’est un phénomène analogue qui s’est opéré à Počitelj. Ce village et le continent européen ont été durant des siècles aux prises de divers empires (ottoman, magyar, austro- hongrois, russe…) si bien que l’histoire de Počitelj et de l’Europe est celle d’une succession d’influences culturelles différentes qui font aujourd’hui de ce lieu, au même titre que du continent, une admirable mosaïque de cultures.

L ’Europe n’est point, comme l’affirme Paul Valéry, formée de trois piliers que sont l’héritage romain, le christianisme et l’héritage grec. L’Europe est davantage que cette vision méridionale et occidentale : elle est formée d’autres apports notamment slaves, nordiques et orientaux ; Počitelj en est un parfait exemple.
C’est pourquoi aujourd’hui, l’Europe recense d’autres confessions (islam, judaïsme…) exacerbées par les migrations ancestrales, de multiples alphabets, divers systèmes de penser… L ’Europe ne s’est jamais limitée au christianisme. Ce modèle théorique qui affirme que l’héritage chrétien est l’unique est illusoire car on ne peut restreindre une civilisation à une religion. La civilisation européenne est davantage définie par des juxtapositions d’idées, de croyances, d’architecture comme l’est Počitelj.

Si l’Herzégovine, et Počitelj en particulier, sont des lieux où « coexistent et s’enchevêtrent des ethnies et des confessions très diverses »[1], ce constat est semblable à celui que l’on pourrait réaliser au sujet du continent européen. De ce fait, Počitelj correspond à un véritable lieu de mémoire européen.
A l’heure où une profonde crise identitaire fracture le continent et divise les peuples qui font preuve d’ethnocentrisme, il serait préférable pour ses habitants, de mettre en exergue le multiculturalisme qui l’imprègne. Une visite de Počitelj permettrait aux européens de visiter un village qui n’est autre qu’un portrait de la mémoire collective du continent et de se remémorer que l’héritage européen est pluriel au même titre que les civilisations regroupées en son sein.

Počitelj s’apparente donc à un reflet modeste des dynamiques qui ont bouleversé et bouleversent encore le continent européen contemporain et ces dernières font du village un véritable patrimoine national mais également un lieu de mémoire européen évident.

[1] MUDRY Thierry, « Histoire de la Bosnie-Herzégovine : faits et controverses », Ellipses, Revue des slaves, 1999